« ACTION RAHMA » : une initiative contre l’exclusion

« ACTION RAHMA » : une initiative contre l’exclusion

 Par Nada Oumhand

Un dimanche à Errahma, les habitants de cette ville nouvelle lancent « Action Casa Rahma ». Une initiative pour rendre leur quartier un peu plus habitable. L’équipe d’Openchabab y était. Reportage.

Rattaché à l’annexe administrative de Errahma 2, dans le quartier Jnane Rahma, se situent les Espaces Saada. Malgré son nom, la réalité de ces groupes d’immeubles est loin d’être un havre de bonheur…

Au cœur du quartier Errahma 2, Action Casa Rahma est une initiative de l’association Badr portée par les habitants du quartier.

Des individus de tous âges sortent pendant une matinée pour une campagne de nettoyage du quartier. Ils investissent les terrains vagues et déserts pour les rendre des espaces verts. Ils organisent des actions d’animation pour les enfants, le tout dans la bonne humeur. « Même si c’est dur de se lever le dimanche matin, après une semaine de dur labeur, c’est un plaisir de participer à rendre mon quartier plus beau et à vivre dans de meilleurs conditions », lance Rachid, la quarantaine.

Parmi les membres de l’association, Aziza, 43 ans, est assistante administrative. Originaire du quartier casablancais de Derb Soltane, elle s’est rendue chez un promoteur immobilier. Son rêve : avoir son propre appartement qui lui est livré en décembre 2014. « L’état de mon appartement était loin des promesses qu’on m’a faites lors de l’achat sur plan ! »

Aujourd’hui, Aziza, comme d’autres propriétaires des Espaces Saada, confirment la face sombre du secteur immobilier au Maroc : Loin des publicités vantant des prix défiant toute concurrence, se cachent des réalités amères, des promesses non tenues et de la vente d’illusion.

« Infrastructures mal faites, fuites d’eau et d’électricité, des égouts dangereux. Sans parler de la mauvaise qualité des finitions, un sol abîmé… Les matières utilisées pour le bâtiment sont les moins chères du marché. Bref, la seule chose bien faite, ce sont les fondations… ni plus ni moins ! »

Entre ‘’vrai et faux’’ : des commodités à Errahma ? 

Lors du lancement du projet de la ville nouvelle d’Errahma, les promoteurs ont promis de doter les quartiers de toutes les équipements publics : mosquée, hammam, four, école, terrain de sport, crèche, espaces verts…

Lors de notre visite à Errahma 2, en fait d’espaces verts, on s’est retrouvé au milieu de terrains vagues vides, dans un état lamentable au milieu des constructions. Nous avons entendu des protestations de femmes qui dénoncent non seulement l’état des appartements, mais encore celui du quartier déserté.

« Ces promoteurs nous ont vendus des mensonges ! C’est intolérable ! Ils n’ont tout simplement pas tenu leurs promesses ! »,déclare Fatima d’un ton furieux.

Mariée et mère de deux enfants, Fatima a été obligée, après son déménagement, d’arrêter son activité de couturière dans une usine pour garder ses petits, alors qu’elle a vraiment besoin de travailler : « Depuis que j’ai arrêté de travailler, mon mari et moi, on est noyés dans les crédits, ne pouvons plus payer la traite de l’appartement… »

Fatima, comme d’autres femmes du quartier, se plaignent de la hogra, l’humiliation. En plus des mauvais équipements de leurs maisons, elles se retrouvent à l’extrémité de Casablanca, leur ville natale, privées des principaux services de la vie commune : pas de hammam, pas de four, pas de garderie, pas de jardins ni d’espaces pour les enfants. Alors que tous ces services constituaient la base de la publicité pour ces logements économiques.

À ce quotidien amer, s’ajoute un autre type de souffrance : l’accès au transport. Pour rejoindre le centre ville de Casablanca où la plupart des habitants gagnent leurs vies, ceux-ci sont obligés de prendre au moins deux taxis blancs pour arriver à temps. Sachant que la plupart des habitants sont issus des classes populaires et vivent de bricoles. Pour eux, prendre deux moyens de transport par jour aller-retour n’est pas évident : « Le transport depuis Errahma est une galère de tous les jours… tout ce qui occupe nos pensées, c’est de pouvoir être à l’heure pour ne pas être virés par nos patrons », explique Aziza.

Cette situation engendre un problème d’ordre économique. L’absence des sources de revenus à Errahma est une réalité, notamment pour les jeunes du quartier qui ne trouvent pas d’emploi ni aucune activité pour combattre l’isolement et l’exclusion.

Le vivre ensemble est un défi au quotidien pour les habitants. À Errahma 2, les habitants sont issus de milieux différents : entre les propriétaires d’appartements provenant de quartiers populaires, et les habitants relogés des douars, ce sont des frictions au quotidien.

Pour pouvoir faire des réclamations pour tous ces dysfonctionnements au niveau des groupes d’immeubles et réussir à en arranger quelques-uns, il est indispensable de créer un syndic qui se charge de suivre tout type de procédure. Mais, nous explique Aziza, « convaincre des voisins qui vivaient auparavant dans les douars, de l’importance du syndic pour pouvoir régler ses problèmes est une tâche difficile. »

Pour elle, le citoyen a aussi sa part de responsabilité dans tout ce qui se passe. En ignorant la loi, ses droits comme ses devoirs, les acquéreurs contribuent à leur manière à ce désordre. « On signe un contrat, sans essayer de le lire ni d’en comprendre le contenu, donc on devient une proie facile pour les promoteurs », ajoute Aziza.

Mais pour une grande partie des habitants de ce quartier précarisé, réserver 50 dirhams par mois aux travaux d’entretien de l’immeuble ou à l’aménagement de l’espace public, ne fait pas partie de leurs priorités. Mis à part Aziza et ses complices d’Action Casa Rahma, la solidarité dans cette jungle urbaine est un vain mot.

Des femmes de volonté

En dépit de ces difficultés, quand les hommes sortent chaque matin à la recherche d’opportunités de bricoles pour gagner leurs vies et payer les inévitables traites, des femmes militent au quotidien pour le changement et sont conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer au sein de leur environnement :« J’ai envie d’aider mon mari. Avant de déménager, je gagnais plus que lui et on pouvait s’entraider pour payer les charges… Maintenant mon mari ne gagne que 1 300 dirhams, alors que le seul montant de la traite est de 1 500 dirhams »,déplore Fatima.

Entre l’absence des sources de revenus et l’impossibilité de payer les traites, les femmes du quartier veulent toutes travailler pour sauver leurs foyers et assurer une vie digne à leurs enfants : « Les femmes ici ont des idées extraordinaires pour le développement du quartier et par conséquent de la nouvelle ville. Il suffit d’avoir des responsables politiques à l’écoute… », conclut Aziza.

Au premier rang de leurs besoins formulés, la création de crèches communautaires, qui seront gérées par des femmes du quartier et qui permettront à Fatima et à d’autres femmes d’aller travailler. Une demande vitale pour ces familles, dont un nombre de plus en plus important, ne parvient plus à s’en sortir.

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