Errahma, la mal nommée

Errahma, la mal nommée

Par le collectif

À Madinat Errahma, des milliers de familles ont bénéficié d’un programme de relogement ou de recasement. La vie dans le « dur » s’avère plus pénible que celle dans les bidonvilles.

Les ménages concernés souffrent de nombreuses difficultés : impossibilité de payer les traites, rareté des moyens de transport, violence, absence de sources de revenus et d’infrastructure de base…

« Madinat Errahma » veut littéralement dire la ville de la générosité. Une ville nouvelle, située près du cimetière éponyme, le plus important de la capitale économique.

Errahma est un cimetière à ciel ouvert pour les dizaines de milliers de personnes qui y vivent. « Errahma, comme toutes les autres nouvelles villes, ne possède pas les caractéristiques d’une véritable ville. À commencer par l’absence de grandes artères. Ce qui fait d’Errahma un simple assemblage de petits quartiers », lance Abderrahim Ariri, un journaliste qui a travaillé de longues années sur les questions d’urbanisme au Maroc.

 À voir également, l’entretien vidéo réalisé avec Abderrahim Ariri ici.

Une mixité explosive

Errahma, qui a été inaugurée par le roi Mohammed VI en 2006, est une ville à problème. D’abord au niveau de la sécurité, qui s’est certes améliorée depuis que la police s’y est installée en 2018. Ce qui n’empêche pas la violence d’y sévir. Cette violence s’explique par la politique de recasement qui a vu cette ville accueillir des familles provenant de plusieurs quartiers de Casablanca, mais également des villages situés non loin de l’actuelle ville. Les habitants d’une vingtaine de douars et bidonvilles de la commune rurale de Dar Bouazza se sont donc  retrouvés, du jour au lendemain, voisins des bidonvillois de Bachkou et des familles déplacées des habitations menaçant ruine de l’ancienne médina. Les uns ont bénéficié de lots. Les autres ont été recasés après avoir contracté un prêt bancaire. En plus d’autres milliers de familles qui ont acquis des appartements faisant partie du programme de l’habitat économique. Une mixité explosive.

De fait, l’État a déplacé des populations qui ont vécu dans des contextes différents. Ceux de Bachkou profitaient de la proximité du quartier chic de l’Oasis. Les gens de l’ancienne médina pouvaient toujours s’en sortir en faisant de petits métiers au port de pêche ou au grand marché. Mais ceux qui résidaient à Dar Bouazza considèrent ces deux groupes comme des envahisseurs, puisque que ce sont eux qui ont droit de cité dans cette ville nouvelle. « Ils ont en commun de partager le statut de précarité, et parfois d’extrême précarité. Malgré ces différences, Errahma abrite un seul profil de ménages pauvres, sans mixité, ni justice sociale », ajoute Abderrahim Ariri.

Les bagarres dans la ville nouvelle d’Errahma sont également dues à la frustration que vivent ces jeunes désœuvrés qui se trouvent ainsi piégés sans aucun horizon. Miloud, aujourd’hui sans travail, se souvient de sa vie d’avant, à Bachkou : « Il y avait toujours quelque chose à faire afin de gagner sa journée. Il y avait le marché de l’Oasis, les villas où on pouvait offrir ses services d’entretien ou de jardinage. On vivait dans un bidonville, mais il y avait à proximité des écoles, des mosquées, une pharmacie. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on vit dans du dur, mais nous sommes loin de toute possibilité de gagner de l’argent. Pour aller travailler en ville, il faut débourser une fortune.Il n’y a aucune activité dans ce bled perdu. Je connais des amis qui ne sont jamais sortis d’Errahma depuis plusieurs mois. » Ce qui occasionne toutes formes de délinquance et de bagarres rangées. Les habitants originaires de Dar Bouazza sont considérés par les autres comme « des blédards,vendeurs de fleurs et d’eau de rose, fossoyeurs et porteurs d’eau dans le cimetière Errahma. »Une guerre larvée, bien visible, sur les murs des établissements scolaires d’Errahma, avec ces graffitis hostiles envers une population ou une autre.

Abdelhak, lui, est un nouveau résident d’Errahma. Ce n’est qu’en 2016, qu’il a « bénéficié » d’un appartement à Errahma 2, dans le complexe Alliances. À 60 ans, il travaille comme agent de sécurité dans un restaurant du centre-ville. Il décrit sa vie comme un enfer depuis qu’il a quitté, avec sa famille, dar lwalidine, la maison des parents, à Derb Maâyzi de l’ancienne médina, fin 2016.

Cessation de paiement

Pour Abdelhak, comme pour les autres habitants d’Errahma, les transports posent problème. D’abord, ils sont insuffisants par rapport aux besoins des milliers de femmes et d’hommes qui gagnent leur vie en travaillant à Casablanca intra muros. Ensuite, ils représentent une dépense conséquente pour cette population fragilisée. Enfin, le bus n°50 qui assure la liaison entre le centre ville et Errahma est tout sauf reposant. « Nous nous retrouvons parqués comme de la sardine avec des comportements non civiques, des insultes. Parfois quand le chauffeur refuse d’ouvrir la porte du bus, on casse les vitres. Et bien sûr, automatiquement, le bus s’arrête au grand désarroi de ceux qui doivent être à l’heure pour le travail », s’insurge Abdelhak. Ce dernier a toutes les raisons d’être mécontent : « Si on opte pour le taxi blanc, il faut en prendre deux. Ce qui coûte trois fois plus que le bus. Pour quelqu’un qui gagne moins que le smig, c’est juste catastrophique. » Depuis qu’il s’est installé à Errahma, ses deux garçons sont en situation d’échec solaire. Le cadet a redoublé, l’aîné a abandonné l’école. « Mes enfants ne sont pas habitués à la vie à Errahma. Il y a plein de problèmes à l’école et quand on est de l’ancienne médina, ceux des douars de Dar Bouaaza ne vous laissent pas en paix. »

Abdelhak ainsi que d’autres résidents du complexe Alliances font face à un autre problème. Celui du paiement de la traite de logement. Selon Abdelhak, presque la moitié des résidents de ce complexe sont en cessation de paiement depuis plusieurs mois. « Quand on a voulu contracter le crédit, on nous a dit de déclarer oralement le salaire que l’on gagnait mensuellement. Littéralement, de bluffer. Moi, je leur ai annoncé 3 000 dirhams alors que je n’en gagnais que la moitié. Tout cela pour bénéficier d’un crédit. Aujourd’hui, je dois m’acquitter pendant 25 ans d’une traite de 1 300 dirhams par mois. Ce que je ne peux pas faire. Je suis noyé par le courrier de la banque me sommant de payer, me menaçant de m’ester en justice. Je vis une injustice sans pareil. »

Avant d’octroyer ces crédits, aucune étude n’a été faite pour voir si ces ménages pouvaient supporter ce crédit. De plus, pour la plupart, privés de leurs boulots d’antan ou voyant leurs revenus diminuer à cause de nouvelles charges (transport, cherté des produits…), ces ménages se trouvent encore plus précarisés. « Tout ce qu’on veut, c’est de vivre dans la dignité. On nous a envoyés dans une autre contrée, une autre ville. Moi, sur ma carte nationale, il y avait une adresse au centre ville de Casablanca et plein de petits boulots à portée de main. Aujourd’hui, je vis dans l’extrême pauvreté et la menace de me retrouver dans la rue. C’est vraiment intenable », conclut furieux, Abdelhak.

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