La Moudawana, catalyseur d’inégalité pour les femmes du Maroc
Par Openchabab Égalité femmes-hommes 2022 : Oumayma Aghzere, Malak Belakhdar, Manon de Matauco, Boutaina El Ouadie, Sara El Ouedrhiri, Rania Jaouhar, Amal Kaibous, Abdessamad Khadiri, Leila Saheb Ettabaa et Kenza Sammoud.
La réforme de la Moudwana de 2004 représentait, certes, une avancée pour les droits des femmes au Maroc par rapport à ce que prévoyait le texte de 1958. Mineures à perpétuité, les Marocaines étaient désormais des femmes adultes dès l’âge de 18 ans. Elles pouvaient désormais demander le divorce, voyager sans l’autorisation de leur mari… Ces avancées ont été largement médiatisées à l’international pour donner une image moderne du Maroc. Mais les régions marginalisées du pays n’ont pas bénéficié des mêmes efforts. Dans le Maroc profond, pour lequel s’applique encore la catégorie de “Maroc inutile” pensée par Lyautey dans le cadre du projet colonial, la Moudawana demeure ignorée. Ce texte qui offrait de nouveaux droits aux citoyennes marocaines n’a pas été soutenu par le travail de promotion, d’explication et d’accompagnement qui aurait été nécessaire. Sa mise en œuvre a donc été incomplète pour beaucoup.
Aujourd’hui, le mariage coutumier continue de toucher des milliers de filles, le plus souvent mineures. De nombreuses familles ne disposent d’aucun document officiel prouvant leur statut marital, l’identité de leurs enfants, et établissant leurs droits en cas de divorce et de veuvage. L’accès à des droits fondamentaux comme le droit à l’état civil, le droit à la santé, le droit à l’éducation… leur est ainsi dénié. Les agents de l’État civil et de la justice ne sont pas sans ignorer cette situation et force est de constater que trop peu de choses sont faites pour la résoudre, ce qui perpétue et aggrave les conditions de vie de populations déjà dans une extrême précarité – avec les conséquences que cela implique : prostitution, criminalité…
Par ailleurs, ce texte même s’est avéré insuffisant pour une véritable promotion des droits des femmes. En 2020, 81 % des 32.000 demandes de mariages impliquant une mineure ont reçu l’approbation des juges – pour la plupart très conservateurs. En 2021, 12.600 autorisations de mariage de mineurs ont été accordées. Ces chiffres prouvent, sans contestation, que l’article 20 de la Moudawana, offrant la possibilité de déroger à l’âge légal du mariage (18 ans), est loin d’être une exception. Or il est établi que les mariages précoces sont des sources de violence et de maltraitance pour les mineures.
La réforme de la Moudawana n’a pas, non lus, été accompagnée par l’harmonisation demandée par la société civile avec d’autres codes comme le Code pénal, freinant ainsi la révolution des mentalités tant espérée.
Aussi, elle constitue toujours un véritable défi institutionnel, éducatif et culturel. Aujourd’hui, nous, jeunes, avons vécu dans une société marquée par le gouffre entre les objectifs affichés de la Moudawana et la réalité des situations dont nous sommes témoins. Nous n’acceptons pas que nos vies soient régies par un Code qui n’interdit pas totalement la polygamie et qui tolère d’autres formes d’inégalités entre femmes et hommes. Nous considérons que la vision véhiculée par la Moudawana de la place des femmes et des enfants (tutelle, pension…) est archaïque.
Nous nous rappelons que le texte proposé par Saïd Saadi en 1999, alors secrétaire d’État chargé de la Protection sociale, de la Famille et de l’Enfance, était bien plus courageux que celui qui a été finalement adopté, après amendements, et consacrait de façon beaucoup plus claire l’égalité entre femmes et hommes.
Nous considérons qu’il est temps de réformer ce texte en évitant de reproduire les erreurs du passé. Il est également et bien temps de couronner les efforts des associations qui militent depuis des décennies pour la cause de l’égalité entre femmes et hommes au Maroc.◆
Cette tribune a été publiée en mars 2022 dans le dossier « Plaidoyer pour réformer la Moudawana » coordonné par Pauline Maisterra, de Femmes du Maroc.