Madinat Errahma : une ville nouvelle sans mixité sociale

Madinat Errahma : une ville nouvelle sans mixité sociale

Par Siham Mengad

Pôle urbain situé à l’est de la municipalité de Dar Bouazza, la ville nouvelle d’Errahma est censé incarner l’aboutissement du projet de recasement des populations des bidonvilles (21 douars de la commune rurale de Dar Bouazza et d’autres douars et bidonvilles de la commune urbaine de Casablanca). Aménagée depuis 2007, la ville est peuplée d’environ 200 000 habitants. L’aménagement de la ville a été confié au groupement d’intérêt économique (GIE) constitué d’une vingtaine d’entreprises dont Addoha, Alliances et Akwa immobilier pour un budget de près de 320 MDH, dédiée aux acquisitions de foncier.Celles-ci portent sur un terrain à Dar Bouazza pour un ensemble de 300 unités, un terrain dans la nouvelle ville d’Errahma pour 2 000 unités dans le social et l’acquisition d’une réserve foncière d’une superficie de près de 90 Ha dans Errahma, pour 20 000 unités sociales.[1]

Selon le schéma directeur d’aménagement urbain du grand Casablanca, la superficie du pôle urbain Errahma est de 2 500 Ha, pour 300 000 habitants. Les principes directeurs de ce pôle urbain sont la valorisation du littoral ouest, le renforcement de la mixité sociale avec une diversification de la typologie de l’habitat, la création de coupures vertes, et le développement d’une création de zones d’activités économiques. Le schéma directeur annonce une « offre compétitive par le prix et les délais de réalisation pour contrecarrer l’habitat non réglementaire »[2], dans les créneaux du logement pour la classe moyenne et du logement social et économique.

Mais la ville nouvelle d’Errahma reflète-t-elle un modèle de mixité sociale ? Son état actuel, avec tous les problèmes dont elle souffre, constitue-t-il vraiment une expérience réussie en matière de politique urbaine étatique, et surtout en matière d’amélioration des conditions de vie de sa population ?

La contrainte du recasement

Les problèmes que connaît Errahma, comme bon nombre de villes nouvelles, remontent aux premières étapes du recasement des habitants des bidonvilles et de l’ancienne médina de Casablanca. En effet, le programme des villes nouvelles initié par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme en 2004, qui ambitionnait un urbanisme novateur introduisant de nouvelles pratiques d’aménagement urbain, « reflète en réalité des dysfonctionnements profonds en matière de planification et de gouvernance des espaces urbains au Maroc »[3].

Et pour cause, l’absence d’un véritable engagement politique, le flou institutionnel et juridique sur sa conduite et le manque d’une véritable réflexion stratégique en amont et en aval de son lancement. L’exemple d’Errahma est un véritable laboratoire pour évaluer cette politique de ville nouvelle au Maroc. Le rôle, sinon le devoir de l’Etat dans l’instauration d’une mixité sociale dans la création des villes nouvelles est quasi absent. Les problèmes d’intégration des habitants lors de leur déplacement vers la cité sont révélateurs. Comme en témoigne Mama Jamila, la responsable d’un centre de formation, et actrice associative (lien de l’audio).

De plus, recaser une population qui vivait dans des habitations indécentes, mais dans une ville connectée pour une ville censée être nouvelle, mais totalement déconnectée, est problématique. Les villes « anciennes » avec leurs modes et structures d’habitation et de cohabitation diffèrent totalement, par rapport à la cohabitation dans une ville nouvelle qui est en train de construire ses signes d’aménagement. Les problèmes liés à l’éloignement de la ville, à son manque d’infrastructures, et des équipements constituent d’autres formes de non mixité sociale. Sinon de rejet, de discrimination, et d’injustice sociale…

Sur un autre registre, le financement des logements traduit le creusement de la pauvreté et des disparités sociales chez les habitants de Madinat Errahma. Les crédits accordés par les promoteurs financiers aux habitants ont engendré des problèmes réels au niveau du remboursement.

À écouter sur ce sujet, le témoignage d’Abdelhak ici.

Errahma : un business de la pauvreté ?

Selon un rapport de la banque mondiale en 2006, sur le programme villes sans bidonvilles, le coût subventionné pour l’acquisition d’un logement de bidonville, à l’exception des appartements, est de deux à trois fois plus cher. Les revenus d’un tiers des résidents, ne leur permettent pas d’apporter une contribution financière, alors qu’un autre tiers serait en mesure de se permettre l’achat d’un appartement.

La résorption entraîne souvent des pertes économiques telles que le coût ajouté des services, la perte du revenu et les coûts du transport en raison de l’éloignement de certains sites de réinstallation, et ces éléments contraignent ultérieurement les budgets déjà très serrés des résidents.

L’expérience d’Errahma en tant que ville nouvelle conçue pour absorber les problèmes sociaux d’une population se révèle être un échec. La mixité sociale et l’égalité des chances, un objectif déclaré lors de sa création, sont absentes.

[1] « Un avenir prometteur pour Addoha », http://www.leseco.ma/business/60332-un-avenir-prometteur-pour-addoha.html

[2] Schéma directeur de l’aménagement du grand Casablanca

[3] Tarik HARROUD, « Le programme des villes nouvelles au Maroc : rupture ou prolongement d’un urbanisme de rattrapage ? » in Revue Internationale d’urbanisme, N° 4, Juillet-Décembre 2017.

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